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« Le monde de Simenon », des romans comme la vie

Chapeau, imperméable et pipe en biais, Georges Simenon a la silhouette du mystère, des atmosphères en demi-teinte, d’un temps sans repères. Prêt, chaque matin, à toutes les promenades, il arpente la campagne en se racontant des histoires. Car Simenon est son premier lecteur. C’est lui qu’il doit, avant tout autre, conduire, éveiller et happer dans ces quotidiens ordinaires dont il ouvre l’horizon, dans ces aventures étranges nées d’un grain de sable qui fait tout basculer. Simenon marche autant qu’il écrit. Beaucoup.
Dans l’immense herbier de ses mots, glanés pas à pas, la collection « Le monde de Simenon » réunit l’ensemble de ses « romans durs ». Pourquoi « durs » ? Pour leur intensité ? Pour l’aspiration qu’ils portent en eux : celle d’un écrivain « pur et dur », déterminé à entrer dans l’histoire de la littérature ? Les « romans durs » de Simenon sont le Graal et l’essence d’un inlassable auteur qui n’aura cessé de travailler, d’épurer, d’anoblir son style rigoureux et net comme d’autres taillent dans la dureté de la pierre leur sculpture sans repentir. Pour y parvenir, il lui fallait mille plumes, mille vies, mille détours.
Journaliste, nouvelliste, créateur de contes galants, chroniqueur et romancier, il se nommera Georges Sim, Christian Brulls, J.-K. Charles, Luc Dorsan, Jean Du Perry ou encore Gaston Viallis… Empruntant au fil de ses premiers récits dix-sept pseudonymes, le créateur de Maigret brouille les pistes, comme s’il se cachait sous ses mots économes pour ne livrer de lui-même que de maigres indices. Mais ne nous y trompons pas, tous les Simenon vivent en un seul et tous nourrissent son écriture, à chaque page, pour dire au plus juste et au plus vrai l’humaine inhumanité, l’humble et le discret, l’invisible soudain mis en lumière dans une histoire qui se renverse, sombre, chute ou périt. Aurait-il tout compris de l’homme, de sa condition, de ses peurs, erreurs, doutes, errances ou espoirs ? Tel un Edward Hopper des mots, il s’attache à en explorer les ombres et les troubles. Ce Simenon-là n’a rien oublié de ses anciens métiers et nourrit son œuvre de son expérience.
Envoyé spécial dans les ghettos juifs d’Europe de l’Est, intervieweur, en juin 1933, de Trotski lors de son exil à Prinkipo, au large d’Istanbul, en Turquie, embarqué malgré lui dans l’affaire Stavisky, en 1934, aux côtés de Jean Prouvost et de Pierre Lazareff, Simenon fut le témoin tout-terrain du monde, le limier des âmes et de cette condition humaine banale, ordinaire et tellement universelle, comme le rappelle son biographe Pierre Assouline.
Alors peut-être, d’obsessions en rituels, de manies en démesure, Simenon a fait de ses romans durs de purs romans, comme la vie elle-même, comme les gens dont la réalité reste la somme d’illusions vécues, aimées, savourées, perdues ou transmises. Les romans durs de Simenon que Le Monde réunit sont les histoires des autres, ciselées dans la précision de l’existence où toute ressemblance n’est jamais fortuite. En cela elles parlent à tous, depuis leur première édition jusqu’à leurs dernières traductions et leurs adaptations à la télévision comme au cinéma. Simenon n’a pas seulement inventé un monde, il a conquis la planète.
Plus d’informations sur la collection éditée par Le Monde en consultant le site Lemondedesimenon.fr
Christophe Averty
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